Dernier chapitre : Has been in the Navy
Ce texte avait été prévu pour un concours au jeu Porte-Monstre-Trésor du réseau FEERIK. Le but était d’écrire en trois pages le dernier chapitre des aventures de l’aventurier Mr.Moustache, le raton-laveur.
Mon essai ayant été publié en premier, je crois que d’autres participants n’ont pas osé tenter leur chance (?) Dans tous les cas, cette partie du concours a été annulée par manque de participants, hélas.
« Ni trop ni trop peu… comme une minijupe has been des ténèbres, » murmurai-je en déposant un grain de raisin sec rendu collant sur le hublot de mon casque amphibie. Il s’agissait d’un pot d’aquarium pour poisson rouge.
Moi, Monsieur Moustache, célèbre raton laveur aventurier de mon état, ce jour-là j’avais la ferme intention de m’introduire dans le donjon le plus mystérieusement mystique des antres aquatiques ! J’ai nommé…
Le Donjon de Leira MilleÉcume!
Que les vétérans les plus aguerris et traumatisés par leur aventure, s’arrêtant à l’entrée sortie, ont surnommée en tremblant : Ariel la-pas-si-petite-sirène-que-ça.
Ainsi, j’étais assis sur le bord du lac, sur le ponton pourri envahi de mousse, témoin impuissant de l’abandon et surtout de la dangerosité des lieux sous-marins. Mes pieds s’étaient fait palmer d’algues retenues ensemble par la volonté d’un escargot fouettard payé au millilitre… Mais lequel le valait bien (et s’appelant Lorai-al) car fier producteur naturel de la bave la plus opaque et la plus efficace de sa race Menjeurdelétues.
J’avais, voyez-vous, longuement réfléchi au problème après avoir soutiré des informations à ces aventuriers. Cette collecte, nécessaire à la préparation d’une aventure superbement dangereuse, s’était faite par la force des pintes de bière. Ce qui signifie qu’à un certain moment, les vétérans ne savaient plus vraiment ce qu’ils disaient. Je retrouvais dans mon carnet de notes des propos aussi obscures que ceux d’une prophétesse sous overdose de Lorai-al.
Du donjon de Leira MilleÉcume pour ainsi dire je n’en savais que peau d’escar… oui, non, désolé, Lorai-al, je voulais dire « peau de serpent de mer » évidemment, voyons cher ami !
Je n’avais qu’une seule information : la porte d’entrée était la sortie.
C’est fort peu en trois mois d’enquête, vous pensez bien !
Il me fallait donc me préparer par moi-même en jugeant de mes propres yeux ce qu’était le donjon comme réputé le plus dangereux du monde sous la flotte !
Voilà, mon casque amphibie à camouflage imitation massif corallien était fin prêt… Mes pieds étaient palmés, et une algue magique, qu’un certain sorcier n’aurait pas reniée, me permettrait durant une heure de respirer sans air.
Je me levai sur le ponton, dandinant brièvement un pied sur l’autre, puis après un salut à mon ami Lorai-al, je plongeai dans l’eau !
Ce fut sous elle que je me rendis compte de ma grossière erreur : j’avais laissé mon casque camouflage sur le ponton ! Me frappant le front, je remontai à la surface et saisis mon casque. Ceci tout en essuyant stoïquement les plaisanteries de l’escargot… je mis mon invention et replongeai une seconde fois.
Faux départ, dirons-nous.
Je ne saurais vous dire combien de temps je nageai et battis des pieds jusqu’aux plus mornes profondeurs de ce lac intriguant. Mais, plus j’y voyais de moins en moins plus je songeais que l’adage : « là où le soleil ne brille jamais », ne faisait pas référence au bon emplacement.
Enfin, là-bas, je la vis ! La pointe claire obscure du sommet du donjon où brillait une flamme spectrale bleue qui éclairait toute la structure.
« Wouahou ! Par la barbe de Nilrem le Désenchanté ! » m’exclamai-je dans mon hublot, dans mon casque.
Le spectacle s’offrant à mes yeux ébahis était parfaitement splendide ! Le donjon le plus dangereux des eaux était aussi une ode à la beauté ténébreuse des abysses ! Un donjon de corail turquoise et de nacre, pointant comme une flèche de minuit couronnée de perles et de roses de mer ! La classe !
Passées les quinze premières minutes d’une contemplation quasi pathologique, je revins enfin à moi et nageai avec encore plus de volonté pour atteindre le fond sablonneux.
Une fois les pieds sur la terre molle, je me couchai et entrepris mon approche discrète et ninja. La porte se trouvait face à moi à quelques mètres. Un double battant d’un bois si pourri et si moussu que par contraste il constituait à lui seul une déclaration de guerre au monde de l’esthétisme et du bon goût.
Une idée me vint : et si cette porte était vraiment une provocation ouverte et cinglante aux aventuriers précédemment ébaubis, comme moi, par la splendeur du clocher des abîmes ? L’un d’entre eux m’avait scandé : « cette fo’tue pot’ d’me’de j’rêv’qu’à’l’bûcheron ! »
Une fois au pied de cette horreur, je m’accroupis précautionneusement en retenant mon souffle fantôme et battant nerveusement ma queue touffue. Il y avait un garde posté devant, un seul, et il ou elle m’avait vu !
J’étais paralysé, un sort de boule de feu et d’éclair suprême, et le paradoxe de l’envie de nettoyer le fond de mer de mes petites pattes, coincés dans la gorge. Mes doigts griffus tremblaient dans l’attente angoissante de tracer des signes avec la frénésie d’un hyperactif alors que je me figeai.
Le garde avança avec nonchalance jusqu’à me faire face, et curieusement plus il approchait plus il rapetissait jusqu’à n’être à mes pieds qu’à la hauteur d’une sardine.
« Vous v’nez pour l’donjon de d’mzelle MilleÉcume ? m’interrogea la riquiqui créature d’une voix tout autant riquiqui et fluette. On aurait dit une trompette bouchée.
Elle était pourtant jolie : un queue de serpent à partir des hanches, un buste de femme et une flamboyante chevelure rouge.
— Euh… oui ? » hésitai-je, une moustache haussée par la force d’un muscle facial pourtant tétanisé.
Alors, ce fut le drame : la sardine grandit, grandit, grandit et grandit encore jusqu’à faire plus de trois fois ma taille et elle… me sourit…
— Euh… oups ?
— Alors, chéri, on commence par la fin ? » me fit-elle, sucrée, séductrice et luxueuse, une main sur sa généreuse hanche écailleuse.
À cet instant fatidique, toutes mes croyances envers le peuple féminin de la mer tombèrent en disgrâce et en désuétude. Mes rêves d’enfant raton agonisèrent de façon théâtrale :
« Arggggh, je meuuuurs ! »
Alors, je compris la fatalité du danger que recelait cette simple porte en la personne de son seul garde qu’était sa maîtresse. Leira MilleÉcume se dressait face à moi, tentatrice et sublime, et je la voyais d’un œil écarquillé avec une partie de moi-même écartelée. Moi qui avais vu la sirène en impossible amour, la vérité en imposait littéralement : l’amour est une folie obscure et glauque, un être aliénant et dissimulé.
Je m’imaginais déjà parcourir un donjon fracassant une à une les images héroïques ayant accompagné mon enfance et façonné ma morale. Un donjon impitoyable et briseur de mirages comme autant de contes de fée cruels. Voilà pourquoi les vétérans de ce donjon en étaient revenus à moitié cinglés, l’enfant en eux n’avait pas voulu mourir ! Par conséquent, impuissants dans leur malheur, ils avaient préféré la fuite à la désillusion.
Mais moi, je me repris ! Par mon nom de Moustache, je n’allais pas tourner les talons et laisser à cette porte pourrie des lambeaux de mon âme toujours jeune !
Me levant, les palmes plantées dans le sable, l’air aussi con qu’une créature mi-raton mi-crapaud, je me raclai bruyamment la gorge dans mon hublot et fouillai dans mon sac. J’en sortis triomphalement le livre d’un mage qu’on disait désabusé mais n’ayant en fait jamais grandi.
Le grimoire de l’humour Desproges françaises !
Ouvrant une page au hasard, je citai.
Leira fut surprise, ne s’attendant évidemment pas à une riposte !
Ce fut après une longue joute verbale faite de cynisme et de calembours que Leira se rapetissa à nouveau et exhala son dernier soupir dans un râle d’anthologie :
« Ah ! Je meurs, damned une fois ! »
Eh oui, celle qu’on surnommait Ariel-la-pas-si-petite-que-ça avait eu un point faible qu’elle s’était efforcée de cacher : elle était anglo-belge !
Ainsi, fier et vainqueur, je tronçonnai cette foutue porte de merde à la hache vintage du feu pour venger ces vétérans qui, du cynisme et de la scie circulaire, n’en connaissaient que l’orthographe !
Enfin, je ne dirai qu’une chose de mon parcours de ce donjon fou, avec sous le bras mon précieux grimoire, jusqu’au trésor que Leira. Trésor qu’elle avait gardé dans une coquille Saint-Jacques grand format.
La plus grande richesse que j’en retirasse fut d’avoir su marcher sur le chemin du vieil âge sans lâcher ma sucette.